Hier au Sénat, l’annonce d’une volte-face sur l’impôt minimum pour les hauts revenus a mis en lumière une stratégie gouvernementale qui s’apparente à une danse hésitante entre pression politique et surenchère fiscale. Promesse initialement écartée, elle renaît sous le nom de « contribution différentielle ». Un changement de cap qui interpelle autant par son opportunisme que par sa symbolique dans un pays déjà champion des prélèvements obligatoires.
D’un côté, il y a le discours officiel. Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, qualifie cette mesure de lutte contre la « sur-optimisation fiscale ». Le principe paraît simple et presque consensuel : les foyers les plus aisés, gagnant plus de 500 000 euros par an, ne devraient pas payer moins de 20 % d’impôt sur le revenu. Cela concerne, nous dit-on, 25 000 foyers. Mais au-delà des chiffres, le récit fiscal révèle un malaise plus profond.
Quand d’autres pays baissent leurs impôts, la France, elle, les augmente, concentrant la charge sur une minorité.
Derrière l’objectif affiché d’équité, c’est une France fracturée qui se dessine, où près de 22 millions de foyers fiscaux ne contribuent pas à l’impôt sur le revenu mais en retirent au contraire un bénéfice moyen de 861 euros. Ainsi, loin d’être un outil d’harmonisation sociale, la fiscalité française devient un terrain de ressentiments où l’illusion d’égalité s’effrite à mesure que l’on gratte sous le vernis des discours.
Un signal politique avant tout
L’instauration de cet impôt est à replacer dans un contexte politique tendu. La pression des socialistes, désireux de prouver leur utilité dans un paysage où leur poids électoral est marginal, explique en partie cette décision. C’est moins un geste de justice fiscale qu’un énième compromis visant à préserver un équilibre fragile au sein de la majorité présidentielle. Une illustration, aussi, de la difficulté qu’a le gouvernement à proposer une vision fiscale cohérente, tiraillé entre les injonctions bruxelloises, les revendications populaires et les impératifs budgétaires.
Mais ce virage soudain interroge : si cet impôt est effectivement « supportable » pour ceux qu’il cible, pourquoi n’a-t-il pas été annoncé plus tôt avec fierté, comme un marqueur politique fort ? Pourquoi attendre la pression pour céder ? Une fois encore, le gouvernement donne l’impression de naviguer à vue, de céder à une logique de gestion à court terme, au détriment d’une réflexion profonde sur la fiscalité.
Une fiscalité de plus en plus concentrée
Alors que d’autres pays choisissent de réduire leurs prélèvements fiscaux pour stimuler la croissance, la France persiste à alourdir la charge sur une minorité de contribuables. Ce choix repose sur un postulat fragile : ceux qui gagnent plus de 500 000 euros annuels resteront malgré tout en France, par fidélité ou par manque d’alternatives. Or, les dernières décennies ont montré que cette hypothèse est contestable. L’exode fiscal, bien que difficile à quantifier précisément, est une réalité.
La France persiste à alourdir la charge sur une minorité de contribuables, misant sur leur fidélité, au risque de provoquer un exode fiscal.
Les arguments moraux avancés pour justifier cette politique – « nous devons tous être égaux devant l’impôt » – sonnent creux dans un pays où les inégalités face à la fiscalité sont criantes. La concentration de l’impôt sur le revenu sur une poignée de contribuables crée un sentiment d’injustice dans une société déjà marquée par des tensions sociales et économiques.
La surenchère fiscale comme symptôme d’un échec global
Cet épisode reflète un problème plus large : la difficulté de la France à réformer en profondeur son modèle fiscal. Plutôt que de simplifier et d’élargir l’assiette fiscale, les gouvernements successifs ont choisi d’empiler les dispositifs, ajoutant à la complexité et à l’illisibilité du système. Chaque nouvelle taxe, aussi justifiée soit-elle dans son principe, devient un symbole supplémentaire du poids écrasant de l’État dans l’économie.
Les Français ne sont pas dupes. Un récent sondage montre que François Bayrou est perçu comme de plus en plus à droite. Un constat qui mérite d’être nuancé sur le plan fiscal : en promouvant ce nouvel impôt, il s’inscrit dans une logique davantage redistributive que libérale. Mais dans le contexte actuel, où l’inflation et la stagnation du pouvoir d’achat alimentent les crispations, ces nuances sont vite éclipsées par la perception d’un État vorace.
L’impôt comme miroir des fractures françaises
La « contribution différentielle » pour les hauts revenus n’est pas qu’un simple impôt. Elle symbolise un système fiscal à bout de souffle, une classe politique incapable de réformer en profondeur et une société qui se fracture entre ceux qui paient et ceux qui reçoivent. Dans une France où la défiance envers les institutions n’a jamais été aussi forte, chaque mesure fiscale est perçue non comme un effort collectif mais comme une injustice supplémentaire.
L’illusion d’égalité fiscale s’effrite à mesure que l’on gratte sous le vernis des discours.
La question n’est pas de savoir si cet impôt est « supportable », mais s’il est pertinent dans une stratégie fiscale et économique globale. Or, c’est précisément cette vision d’ensemble qui semble faire défaut.