Les chiffres sont effrayants. En 2023, plus d’un million de Français ont consommé de la cocaïne, soit presque le double de l’année précédente. Une augmentation vertigineuse qui reflète non seulement une démocratisation de l’usage des drogues, mais aussi une faillite collective : celle de l’État, des politiques publiques, et d’une société qui banalise le danger. Comment avons-nous pu tolérer ce glissement fatal ? La réponse se trouve peut-être dans le cynisme qui gangrène nos élites et l’indifférence généralisée qui asphyxie notre démocratie.
L’économie de la drogue, avec ses profits faramineux, a infiltré les moindres interstices de la société. Depuis 2018, l’INSEE inclut même l’argent du narcotrafic dans le calcul du PIB, sous la pression des directives européennes. Ce chiffre froid révèle une réalité brûlante : nous avons intégré cette économie parallèle comme un rouage essentiel de notre système, au point d’en oublier les ravages qu’elle engendre. Pire encore, dans des quartiers gangrénés par le chômage et la misère, les trafiquants de drogue sont devenus des arbitres d’un ordre que l’État a abandonné. Une forme de « paix sociale » toxique, qui coûte désormais des vies et menace notre stabilité institutionnelle.
« Quand l’argent de la drogue nourrit le PIB, la République abdique face à l’addiction collective. »
L’explosion des consommations de psychotropes et de drogues chimiques est un autre miroir de cette dérive. Elle est le symptôme d’une société en crise, où la dépression généralisée pousse à la consommation pour fuir un quotidien oppressant. Cette banalisation de l’usage est confortée par des politiques défaillantes, incapables de conjuguer répression et prévention. Le discours ambiant, qui réduit l’addiction à une maladie et déresponsabilise les consommateurs, ignore une vérité essentielle : avant l’addiction, il y a un choix, une décision consciente de céder à la tentation. Cet acte initial, qui relève de la responsabilité individuelle, doit être fermement dissuadé.
Les trafiquants, eux, ne dorment pas. Leur stratégie est désormais bien rodée : marketing agressif, ciblage des jeunes et multiplication des points de vente. Les drogues « d’entrée », comme le cannabis, ouvrent la voie à des substances bien plus dangereuses : cocaïne, héroïne, méthamphétamines. Chaque usage devient une porte d’entrée vers l’addiction, et chaque consommateur potentiel est traité comme un client qu’il faut fidéliser. Peut-on encore prétendre que ce phénomène est maîtrisé quand des substances ultra-addictives comme le crack ou l’ecstasy prolifèrent dans des proportions alarmantes, augmentant jusqu’à 40 % en un an ? Ce trafic, qui mêle réseaux locaux et mafias internationales, n’est plus un problème isolé : il est un défi global.
Mais où est l’État ? Tandis que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin affiche une posture répressive, et que le sénateur Bruno Retailleau clame haut et fort sa volonté de combattre le narcotrafic, leurs discours sonnent creux face à l’ampleur du phénomène. Une hypocrisie majeure demeure : l’État délègue le soin des toxicomanes à des associations prônant la « réduction des risques », tout en échouant à éradiquer les racines mêmes du problème. Les salles de shoot, symboles controversés de cette politique, ne sont qu’un palliatif temporaire. Le véritable enjeu est de prévenir les premières consommations et de désintoxiquer ceux qui en sont victimes, non de normaliser un comportement destructeur.
Pourtant, la question va bien au-delà de la simple consommation. Les drogues ont un effet corrosif sur les institutions mêmes de l’État. Dans les quartiers gangrenés par le trafic, la loi des dealers remplace celle de la République. Ces zones de non-droit deviennent des laboratoires de la désintégration sociale où les habitants, otages, sont abandonnés à leur sort. Plus inquiétant encore, la corruption infiltre les administrations, la police, et même le monde politique. Combien de maires, de policiers ou de responsables locaux cèdent face à l’argent des trafiquants ? Ce processus de pourrissement institutionnel, observé en Amérique latine, commence à menacer la France.
La violence, elle aussi, se banalise. En 2023, l’Office antistupéfiants recensait 240 000 individus vivant directement du narcotrafic en France. Chaque euro généré par la drogue est tâché de sang. Pourtant, cette réalité ne semble pas décourager une partie croissante de la population qui, bien qu’épisodique dans sa consommation, alimente ce système mortifère. Peut-on encore fermer les yeux sur la responsabilité de ces consommateurs occasionnels ? En participant, même indirectement, à cette économie criminelle, ils deviennent complices des tragédies qu’ils prétendent dénoncer.
L’Histoire regorge de leçons que nous refusons d’entendre. D’autres nations, déstabilisées par les cartels et les narco-États, ont vu leurs institutions gangrénées par la corruption et leur société sombrer dans une violence généralisée. La France serait-elle sur le même chemin ? Il est temps de prendre conscience que chaque dose consommée ici nourrit une machine mondiale de déshumanisation et de chaos.
Une véritable politique publique doit prendre en compte l’ensemble du problème : production, distribution, consommation, et conséquences sociales. Au-delà des discours, il faut une action implacable. Une répression sans faille doit s’accompagner d’une prévention intelligente et massive, visant à éduquer et sensibiliser dès le plus jeune âge. L’Europe elle-même doit jouer un rôle crucial, en coupant les routes internationales des trafiquants. À défaut, nous continuerons de céder du terrain à cette économie parallèle qui asservit nos consciences et détruit nos valeurs.
Enfin, il faut repenser notre rapport à la responsabilité individuelle. Dans une société où l’on excuse tout, y compris la prise de drogues « pour essayer », il est urgent de restaurer la notion de libre arbitre. La drogue est un choix avant d’être une maladie. C’est ce choix qu’il faut décourager, au lieu de s’abriter derrière une vision lénifiante et hypocrite de la prévention. La complaisance n’a jamais sauvé personne. La lucidité, en revanche, pourrait bien être notre dernière chance.