Il ne suffit pas de se proclamer défenseur des opprimés pour se hisser au rang des vertueux. Il ne suffit pas non plus d’agiter les étendards de la liberté pour masquer les trahisons que l’on orchestre en silence. Le vote sur la libération de Boualem Sansal, écrivain persécuté par un régime algérien asphyxiant, n’a pas seulement révélé les failles de l’extrême gauche française, mais l’abîme de ses contradictions idéologiques. Au Parlement européen, le « non » infâme de Rima Hassan et l’abstention cynique de Manon Aubry ne sont pas des incidents isolés : ils sont les symptômes d’une pathologie plus grave, celle d’une gauche qui, au nom de sa bien-pensance, tourne désormais le dos à ses principes fondamentaux.
Quand Boualem Sansal devient un opposant, sa nationalité française est subitement remise en question.
Car enfin, quelle justification oser avancer pour refuser de soutenir un homme dont le seul crime est de défendre la liberté d’expression ? Rima Hassan, l’une des grandes prêtresses de La France insoumise, a cru bon d’affirmer que Boualem Sansal n’était « français que depuis peu ». Voilà donc le raisonnement effarant d’une gauche qui, à chaque débat télévisé, se drape dans une indignation sacrée lorsqu’il est question de « Français de papier ». Mais si l’on comprend bien, dans leur univers de contradictions, tout cela n’a de sens que lorsqu’il s’agit de soutenir leurs causes. Si Boualem Sansal avait été un rappeur militant ou un activiste tiers-mondiste, il aurait été immédiatement sanctifié. Mais en tant qu’intellectuel critique, opposé à un régime algérien que Hassan qualifie avec une impudeur hallucinante de « Mecque de la liberté », il est abandonné sans scrupule.
La gauche extrême, celle qui prétend porter haut la bannière de l’égalité, devient ici l’alliée objective d’un régime antisémite, totalitaire, et oppresseur. On parle d’un régime qui a fermé les Éditions Franz Fanon pour avoir osé publier un livre sur le judaïsme en Algérie, accusant les éditeurs d’ »atteinte à l’identité nationale ». On parle d’un régime qui persécute non seulement ses écrivains, mais toute une génération de journalistes, d’opposants politiques, et d’intellectuels. Pourtant, Rima Hassan et ses semblables ne trouvent rien à redire. Elles réservent leur indignation à d’autres cibles : Israël, les démocraties occidentales, ou les prétendues « islamophobes » qui osent critiquer ces régimes. L’hypocrisie est totale, mais surtout, elle est glaçante.
L’abstention, arme des lâches et des complices silencieux.
Manon Aubry, elle, s’est drapée dans l’abstention. C’est l’arme favorite de cette gauche contemporaine qui veut éviter de prendre des coups tout en restant complice. Elle n’a pas eu le courage de suivre Rima Hassan dans son vote honteux, mais elle n’a pas non plus osé défendre Boualem Sansal. L’abstention, c’est le choix du silence coupable. Celui des « compagnons de route » qui fermaient les yeux sur les goulags soviétiques. Celui des intellectuels d’hier qui excusaient les purges maoïstes au nom d’un « idéal révolutionnaire ». On reconnaît les lâches à leur capacité à éviter les décisions, à leur absence de colonne vertébrale. Manon Aubry est l’héritière directe de ces figures qui ont, par leur silence, laissé triompher les oppresseurs.
Cette affaire dépasse largement le sort tragique de Boualem Sansal. Elle éclaire d’une lumière crue les travers d’une gauche qui n’a plus rien à voir avec celle des grandes figures intellectuelles du passé. La France insoumise, ce parti qui prétend défendre les opprimés, se délecte de ses ambiguïtés idéologiques. Jean-Luc Mélenchon, leur chef de file, a toujours eu une fascination à peine voilée pour les régimes autoritaires, à condition qu’ils se revendiquent de la lutte anti-impérialiste. Que l’Algérie muselle ses écrivains ou que le Hezbollah assassine ses opposants ne semble pas les déranger. En revanche, la moindre critique de ces régimes déclenche chez eux une hystérie collective.
Mais ce naufrage moral ne s’arrête pas là. En affirmant que Boualem Sansal n’est « français que depuis peu », Rima Hassan a franchi une limite que même ses alliés ne devraient pas tolérer. Que signifie cette déclaration ? La nationalité française serait-elle à géométrie variable selon les besoins idéologiques de cette gauche extrême ? Quand il s’agit de défendre les « minorités » ou de s’attaquer à l’idée même d’assimilation, ces mêmes figures sont vent debout. Mais lorsqu’un Français critique un régime totalitaire qui, soit dit en passant, partage une longue histoire de haine antisémite, alors son origine devient un prétexte pour le discréditer. Cet argument, indigne et puant, rappelle les heures les plus sombres de notre histoire.
Une gauche qui renie la liberté pour adorer des régimes autoritaires ne mérite plus ce nom.
La vérité est simple : Boualem Sansal, qu’il soit Français de longue date ou d’hier, est avant tout un symbole. Il incarne la liberté de penser, le courage de s’opposer, et la résistance face à l’oppression. Le rejeter, c’est rejeter ces valeurs. Et c’est exactement ce que La France insoumise a fait en votant contre sa libération ou en s’abstenant. La défense des libertés, pour cette gauche contemporaine, n’est qu’un slogan creux. Elle s’arrête là où commence leur fascination pour les régimes autoritaires ou leur haine de l’Occident.
Et qu’en est-il de l’Algérie, ce pays que Hassan qualifie de « Mecque de la liberté » ? Peut-on imaginer un cynisme plus flagrant ? L’Algérie est aujourd’hui un État policier, où les journalistes disparaissent, où les minorités sont persécutées, et où les libertés individuelles sont inexistantes. L’aduler, c’est insulter toutes les victimes de ce régime. C’est renier tout ce que l’Europe a construit en matière de droits de l’homme. Mais pour Hassan et Aubry, peu importe. Leur combat idéologique passe avant tout.
En fin de compte, cette affaire est un triste révélateur. Elle montre que la gauche, autrefois éclatante et porteuse d’espoir, est aujourd’hui gangrenée par ses contradictions. Elle se complaît dans une haine viscérale de l’Occident et un relativisme moral qui la rend complice des pires oppressions. Il est temps de dire les choses clairement : Boualem Sansal n’a pas seulement été abandonné par son pays d’origine, il a aussi été trahi par ceux qui auraient dû être ses alliés naturels. Et cela, l’histoire ne l’oubliera pas.