En France, on ne garde pas les clandestins, on les expulse. Enfin, en théorie. Dans la pratique, on leur offre un labyrinthe administratif digne de Kafka, un ticket VIP pour un parcours semé d’embûches juridiques, et en prime, un abonnement illimité aux tribunaux administratifs. Brahim, lui, en a fait l’expérience, et comme tout bon personnage d’une tragi-comédie d’État, il est encore là.
L’histoire commence en 2014, lorsque Brahim pose un pied clandestin sur le sol français. Une décennie plus tard, il devient une énième pièce dans l’immense casse-tête de l’immigration illégale. Repéré en 2023 pour une vidéo d’appel au djihad, il écope de six mois de prison ferme. La justice tranche : schizophrène ou pas, il est responsable de ses actes. La suite est digne d’une farce : il est placé en centre de rétention en vue d’une expulsion. Mais là, c’est le drame. Pour expulser un Algérien, encore faut-il que l’Algérie veuille bien le reconnaître comme sien. Or, les autorités algériennes, d’abord coopératives, adoptent subitement une stratégie bien rodée : la disparition administrative.
L’Algérie n’a pas voulu de Brahim, la France non plus. Devinez qui a gagné ?
Devant l’absence de réponse de l’Algérie, la France persiste, réclame des auditions consulaires, relance inlassablement… mais rien. Le pays de naissance de Brahim le renie comme un oncle encombrant aux dîners de famille. Et la France, elle, est paralysée, enfermée dans une procédure dont elle a perdu la maîtrise. La cour d’appel finit par casser la rétention de Brahim au motif qu’il n’existe plus de « perspective raisonnable d’éloignement ». Comprendre : on n’a pas réussi à le faire partir, donc il reste. Comme si un braqueur repartait libre parce que le coffre-fort était trop bien verrouillé.
La situation devient encore plus absurde lorsqu’on comprend que la préfecture s’est battue bec et ongles pour tenter de le renvoyer. Une, deux, trois, quatre relances à l’Algérie, et à chaque fois, la même réponse : le silence. Entre-temps, Brahim bénéficie d’un système qui lui est devenu plus favorable que jamais. Car à force de complexifier l’expulsion, la France s’est tiré une balle dans le pied. Le législateur européen, dans sa grande sagesse, a voulu protéger la liberté individuelle en faisant de la rétention une exception et non la règle. Ce qui semblait une belle intention au départ s’est transformé en un système absurde où un individu, même reconnu dangereux, peut se fondre dans les méandres juridiques sans jamais en sortir.
On nous avait promis un État de droit, on a hérité d’un État de paperasse.
Cerise sur le gâteau de l’absurde, Brahim dépose une demande d’asile. Une manœuvre aussi habile qu’indécente qui transforme instantanément l’islamiste radical en requérant protégé par la convention de Genève. Et le système français, incapable de voir venir le coup, lui ouvre les bras. La préfecture est donc coincée. La justice aussi. Et Brahim, lui, jubile. En demandant l’asile, il verrouille définitivement son dossier. Les autorités sont maintenant contraintes de lui accorder une protection temporaire, d’examiner son dossier avec sérieux, et bien sûr, de lui fournir une assistance. Voilà un individu dont on voulait se débarrasser et qui, en une seule signature, se retrouve avec plus de droits qu’un citoyen lambda.
Ce cas n’est pas isolé. Il révèle l’ampleur du naufrage administratif français, où chaque expulsion devient une épopée judiciaire interminable. Avec 40 % des dossiers des tribunaux administratifs consacrés aux étrangers, la France est devenue experte en contentieux, mais incompétente en action. Pendant ce temps, les forces de l’ordre s’épuisent dans un combat sans fin, les préfectures s’arrachent les cheveux, et les juges administratifs croulent sous les dossiers. L’administration judiciaire, engorgée, devient l’otage d’un système qu’elle n’a plus les moyens de maîtriser.
Le politique, lui, fait semblant de ne rien voir. Les gouvernements passent et se succèdent, promettant toujours plus de fermeté, toujours plus de moyens pour expulser, mais les chiffres restent les mêmes. L’expulsion de clandestins reste un parcours du combattant, semé d’embûches bureaucratiques et de résistances diplomatiques. À chaque nouvelle tentative d’expulsion, la machine juridique s’enraille un peu plus, et chaque échec devient un précédent qui servira de modèle aux suivants.
Et Brahim ? Il est toujours là, quelque part dans un dédale administratif dont il est devenu le maître. Il n’a plus besoin de se cacher : c’est la République qui se cache derrière ses propres règlements, paralysée par son incapacité à faire respecter sa propre souveraineté.