Il faut croire que le pays de Voltaire n’est plus que l’ombre effacée de ce qu’il fut, lorsqu’il faut à un ancien boxeur iranien, réfugié d’un obscurantisme clérical, d’enseigner aux élites françaises la signification réelle d’un simple morceau de tissu. Il s’appelle Mayar Monshipour. Il n’est ni sociologue de plateau ni imam de salon, mais il sait. Et parce qu’il sait, il parle. Et parce qu’il parle, il dérange. Parce que son discours heurte de plein fouet l’autisme idéologique d’une société française devenue experte dans l’art de ne rien voir et de tout excuser.
Monshipour ne disserte pas sur le voile, il le démonte. Il n’y voit pas un symbole d’émancipation vestimentaire mais ce qu’il est : l’étendard des Frères musulmans. C’est-à-dire l’outil d’un projet politique global, dont la finalité n’est pas l’intégration, mais la domination. Le voile en Europe, répète-t-il, n’est pas une coquetterie cultuelle mais une injonction culturelle. Et la République, qui se croyait forte, s’agenouille désormais devant les caprices du plus rétrograde des intégrismes.
Le voile n’est pas un but : il est une étape dans une stratégie d’effacement progressif.
Ceux qui, pour mieux cacher leur lâcheté, réduisent le voile à un choix personnel, ignorent sciemment que dans l’univers d’où vient Monshipour, ce « choix » se fait à coups de matraque, d’emprisonnement et de mort. Là-bas, les femmes tombent pour avoir refusé de se voiler. Ici, des éditorialistes de salon tombent en pâmoison devant une boxeuse voilée. Il y a des complicités qui ne se lavent pas.
Mais l’essentiel est ailleurs. Il réside dans ce que Monshipour appelle — et il faut l’entendre — un « grignotage ». Car tout est là. Ce voile n’est pas un but, il est une étape. Aujourd’hui sur les rings, demain dans les stades, après-demain dans les écoles, et toujours un peu plus loin, jusqu’à ce que la République elle-même devienne accessoire. L’islamisme n’avance jamais frontalement. Il procède par sape, par mille petits reculs qu’on habille de « tolérance », jusqu’à ce que la liberté devienne, à son tour, suspecte.
Le plus tragique, c’est que cette avancée méthodique est applaudie, légitimée, encouragée par une intelligentsia française désormais couchée. Ceux qui hier conspuaient le catholicisme au nom de la liberté de la femme, encensent aujourd’hui le port d’un vêtement dont la fonction première est de dissimuler le corps féminin aux yeux des hommes. La même gauche qui interdisait la jupe à l’école défile aujourd’hui pour défendre le hijab au stade. Le burkini devient l’étendard progressiste des plages républicaines. Sartre, reviens, ils sont devenus fous.
Et le sport, dans cette affaire, n’est pas une exception mais un terrain d’expérimentation. À partir du moment où l’on autorise le voile dans la boxe, ce sport de contact, de visibilité, d’égalité absolue sur le ring, on valide l’idée que la femme peut participer… à condition de rester couverte. À condition d’accepter, dans le sport aussi, la préséance de la pudeur religieuse sur l’universalité des règles. Voilà le piège. On vous vend l’ouverture, vous récoltez la ségrégation. On vous vend la tolérance, vous financez l’intolérable.
Ceux qui refusent de voir les conséquences politiques de cette concession sont soit aveugles, soit complices. Monshipour les nomme pour ce qu’ils sont : des « idiots utiles ». L’expression est forte, mais elle est juste. Car qui peut croire sérieusement qu’en Iran, les femmes se voilent par amour de Dieu ? Et qui peut croire qu’en Seine-Saint-Denis, elles le font toujours librement ? Il suffit d’écouter celles qui ont fui, celles qui se battent, celles qui osent. Pas celles qu’on exhibe à la télévision pour vanter une liberté qu’elles n’ont jamais eue.
La République ne perd pas seulement du terrain. Elle perd le sens. Elle abandonne ses principes sur l’autel d’une multiculturalité fantasmée, où toutes les cultures se valent, sauf la sienne. Et ce relativisme, ce poison lent, a désormais ses relais jusque dans les ministères. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Bruno Retailleau, évoque une infiltration islamiste dans le sport. Mais sa parole, déjà, est relativisée, noyée dans le chœur bêlant des commentateurs qui n’y voient qu’amalgame et obsession.
Tant que la République doutera d’elle-même, ses adversaires avanceront sans trembler.
L’obsession, précisément, est du côté de ceux qui veulent voiler, contraindre, islamiser chaque parcelle du vivre-ensemble. Pas de ceux qui dénoncent. Le combat de Monshipour n’est pas un combat religieux. C’est un combat de civilisation. Et c’est pour cela qu’il dérange. Parce qu’il ose rappeler que la laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, mais le socle qui permet toutes les autres. Parce qu’il rappelle qu’on ne défend pas la République en rendant les armes avant même d’avoir combattu.
Ce n’est donc pas une polémique sur le voile dans le sport. C’est une bataille pour la survie du sens. Et ceux qui ricanent, qui relativisent, qui intellectualisent, portent la lourde responsabilité de l’effondrement en cours. À force de reculer, on s’efface. À force de plier, on disparaît. Monshipour a vu ce que devient un pays quand l’islamisme gagne. Il nous tend un miroir. Libre à nous d’y regarder notre lâcheté en face.