La France, patrie des droits de l’homme et des déclarations lyriques, vient de rajouter un billet de deux milliards d’euros sur la table, non pas pour sauver son système de santé, ses services publics ou son agriculture mourante (rendez-vous à Sainte-Soline pour la messe funèbre), mais pour injecter un peu plus de feu dans le brasier ukrainien. Et tout cela, bien sûr, au nom de la paix. Une paix en haute définition, livrée en pièces détachées, avec missiles antichar Milan, Mistral défensifs, chars AMX Discernement (dont le nom semble avoir été attribué par ironie pure), et munitions « téléopérées », preuve que même la guerre, désormais, se fait à distance et avec joystick.
La France ne fait pas la guerre, elle la finance à crédit avec un sourire humaniste.
Il faut saluer ici l’élégance macronienne, cette capacité de plus en plus maîtrisée à faire passer une escalade militaire pour une offrande humaniste. En annonçant cette généreuse contribution devant Volodimir Zelenski, Emmanuel Macron réaffirme le rôle de la France comme fournisseur officiel de morale internationale. Oui, la République n’est plus un modèle, elle est un entrepôt.
Du sang, de l’acier, et de l’intelligence artificielle
Le discours est rôdé : il s’agit de donner à l’Ukraine les moyens de se défendre, comme si le déversement incessant d’armements lourds n’avait aucune conséquence sur la durée du conflit. Comme si les canons étaient des thérapeutes de couple. On envoie des missiles comme on envoie des fleurs, en espérant que la Russie les prenne pour un poème. Pendant ce temps, on parle de paix, la bouche pleine de poudre, comme dans ces dîners mondains où l’on discute d’éthique pendant qu’on mange du foie gras.
Mais l’hypocrisie du moment ne s’arrête pas là. Les fameuses coopérations en matière satellitaire et d’intelligence évoquées par Macron résonnent étrangement dans une époque où l’intelligence semble avoir déserté toute tentative de réflexion stratégique. Il ne s’agit plus ici d’éviter la guerre, mais de la rendre durable, propre, gérable, presque programmable. Bienvenue dans l’ère de la guerre verte, recyclable et 100 % européenne.
Une paix à crédit
Cette rallonge budgétaire tombe en pleine préparation d’un sommet pour la paix et la sécurité en Ukraine. Il faut avoir le cynisme d’un consultant en stratégie ou d’un directeur de think tank pour ne pas éclater de rire. À croire que la paix n’a de chance de voir le jour qu’une fois la guerre suffisamment longue, suffisamment meurtrière, suffisamment ruineuse pour justifier une quelconque table de négociation. On dirait un jeu vidéo géopolitique : le niveau « conférence de Paris » ne se débloque qu’après avoir dépensé 10 milliards d’euros et détruit trois provinces stratégiques.
Et que penser du président Zelenski, toujours prompt à recueillir les largesses occidentales avec l’air grave du héros tragique, mais jamais enclin à admettre que la paix pourrait, un jour, nécessiter autre chose qu’un réarmement perpétuel ? Sa présence à Paris relève moins de la diplomatie que du téléachat militaire : aujourd’hui seulement, profitez de nos missiles sol-air dernière génération, avec livraison express et garantie morale incluse.
Diplomatie zéro, moraline maximale
Certaines voix critiques rappellent, à contre-courant, que la multiplication des livraisons d’armes pourrait tout aussi bien prolonger le conflit que le résoudre. On se souvient que Raymond Aron, dans ses écrits sur les relations internationales, insistait sur l’importance du tragique, de la prudence, de la diplomatie comme outil de gestion des intérêts, non comme posture morale. Aujourd’hui, ce réalisme est jugé honteux, déplacé, presque collabo.
Quand la diplomatie devient un vestige, il ne reste plus que la livraison express d’armements éthiques.
Dans un monde saturé de morale et d’émotions médiatiques, l’idée même de négociation devient suspecte. Qui ose encore parler de compromis est immédiatement crucifié sur l’autel de la fermeté démocratique. L’alternative, désormais, c’est : soumission à l’agresseur ou missiles dans le ciel. Entre les deux, le silence radio.
Et pendant ce temps, en France…
Mais revenons à nos petits écoliers sans chauffage, à nos hôpitaux sous tension, à nos agriculteurs étranglés par des normes venues d’ailleurs, et à notre dette abyssale. La France, dans sa générosité impuissante, préfère donc allouer des milliards à un conflit qu’elle ne maîtrise pas plutôt que de réparer les fondations de sa propre maison. Charité bien ordonnée commence par soi-même, disait-on. Aujourd’hui, elle commence par Kiev, passe par Washington, et se termine dans un déficit public que même Bercy n’ose plus commenter.
Et que dire de cette Europe suiviste, cette Union qui se rêve empire mais qui ne sait que dépenser pour l’armée des autres, en espérant que les États-Unis veuillent bien continuer à la défendre ? Les liens russo-chinois se resserrent, le Proche-Orient s’embrase, l’Afrique se détache, et nous continuons à jouer à Risk avec des pièces en plastique et des slogans humanitaires.
La guerre comme lifestyle
Ce qui se dessine, sous couvert de solidarité, c’est l’instauration d’un conflit permanent, d’une guerre sans fin mais bienveillante, où les missiles sont éthiques, les drones sont téléopérés depuis des open spaces, et la souffrance humaine est compatible avec le développement durable. La guerre est devenue un marché, un modèle économique, une nouvelle morale : il faut être du bon côté, et prouver sa vertu par l’envoi de chars.
Philippe Muray, qui a longuement écrit sur cette transformation du Bien en dispositif de domination morale, voyait venir cette époque où la vertu s’imposerait non plus par la censure, mais par le spectacle, l’indignation automatique et la guerre éclairée. Il ne parlait pas de conflits armés, mais ce qui se joue ici relève du même mécanisme : la gestion émotionnelle du monde à coups de moraline téléguidée.