La condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire n’est pas qu’un fait judiciaire : c’est un basculement. Un moment de vérité où le système institutionnel révèle, sans plus vraiment le cacher, sa volonté de filtrer l’offre politique au lieu de la laisser émerger des urnes. On ne juge plus une infraction, mais une légitimité. On ne corrige pas un abus, on neutralise un danger. Le tout, au nom d’un droit qui s’arroge le monopole du discernement moral, alors que ce discernement appartient, en démocratie, au peuple seul.
Ici, la question n’est pas de savoir si Marine Le Pen est coupable, mais pourquoi une exécution provisoire – exceptionnelle, brutale – est imposée dans son cas précis, alors même qu’il n’y a ni enrichissement personnel, ni préjudice avéré, ni emploi fictif reconnu. À travers elle, c’est une fraction importante de l’électorat qu’on vise, une famille politique entière qu’on tente de désintégrer sans débat public, par l’intermédiaire d’un tribunal. Ceux qui applaudissent aujourd’hui ce geste devraient se souvenir qu’en démocratie, le droit n’est jamais un glaive contre le suffrage universel.
La République ne se défend pas en tranchant la main de ceux qui veulent glisser un bulletin dans l’urne.
Il y a dans cette décision un parfum d’arme atomique. Pas celle de la légalité froide, mais celle de la panique stratégique. Les digues politiques ont cédé une à une – cordon sanitaire, barrage républicain, diabolisation – sans réussir à tarir le vote protestataire. Reste la disqualification par le haut, ultime rempart d’un système qui ne croit plus à sa capacité de convaincre. Ce qui se joue, c’est moins la morale que la peur. Peur d’un basculement, peur d’un peuple qui n’écoute plus les médias, méprise les partis traditionnels et bouscule les dogmes. Alors on active une procédure d’exception pour neutraliser ce que le vote risquerait d’exprimer.
Or, on ne fabrique pas la paix sociale avec de la frustration. On ne construit pas la confiance en débranchant les urnes. Ce que cette affaire dévoile, c’est une démocratie sous perfusion, qui tolère le suffrage tant qu’il ne remet pas en cause l’ordre établi. Au-delà du cas Le Pen, ce sont toutes les voix dissidentes qui sont mises en garde : jouer selon les règles ne suffira pas. Car les règles changent quand vous vous approchez trop du pouvoir.
La démocratie ne peut survivre à une justice qui sélectionne les candidats à la place du peuple.
Il faut oser le dire : cette décision est politique. Elle ne se comprend que dans le contexte d’un pouvoir qui doute, d’élites qui tremblent, d’un corps électoral en rupture. Elle s’ajoute à une tendance lourde : celle de juges de plus en plus politisés, affichant sans gêne leurs engagements idéologiques, comme en témoignent les prises de position du Syndicat de la magistrature. Une institution qui n’hésite plus à désigner l’extrême droite comme une menace existentielle, et à assumer son combat militant. Ce faisant, elle outrepasse son rôle et installe un trouble profond : si la justice devient un acteur politique, alors elle cesse d’être crédible comme garant du droit. Elle devient elle-même juge et partie, adversaire sous robe noire.
On tente alors d’interdire le débat au nom de la neutralité judiciaire, comme si critiquer une décision de justice revenait à cracher sur l’État de droit. Mais l’État de droit n’est pas un dogme, c’est un équilibre. Et cet équilibre est rompu quand la voix du peuple est écartée au motif qu’elle inquiète.
À force de vouloir civiliser le peuple à coups de jurisprudence, on finit par fabriquer une colère qu’aucun juge ne saura contenir.
Ce n’est pas seulement Marine Le Pen qu’on veut disqualifier : c’est l’électeur qui, en elle, exprime une défiance. Ce n’est pas une affaire de corruption : c’est une affaire de verrouillage. Et c’est précisément parce qu’elle est symbolique qu’elle devient inquiétante. Aujourd’hui, c’est Le Pen. Demain, ce pourrait être n’importe quel représentant d’une opposition non conforme, au prétexte qu’il ne pense pas bien, qu’il bouscule l’équilibre institutionnel ou qu’il séduit « les mauvaises classes ». Le danger n’est pas tant le populisme que ce réflexe de défense corporatiste des élites, qui érigent des murs procéduraux pour contenir ce qu’elles ne veulent plus entendre.
Et si le peuple insiste, alors il sera contourné. Au nom de la République, bien sûr. Toujours au nom de la République.