Et si la solidarité européenne n’était qu’un mot creux quand elle signifie « ruine-toi pour que d’autres tiennent » ? Face à l’Ukraine, l’Union européenne n’a pas seulement tendu la main : elle a sacrifié ses propres paysans sur l’autel du soutien géopolitique.
Il paraît qu’en temps de guerre, chacun doit faire sa part. Encore faut-il qu’elle soit équitable. Or, dans cette farce géopolitique en plusieurs actes, une catégorie a été prestement désignée pour l’effort de guerre ukrainien : les agriculteurs européens. Traduction concrète : ouvrir en grand les vannes commerciales à des produits agricoles ukrainiens, déversés massivement sur le marché européen, sans douane, sans quota, sans foi ni loi. Et pendant qu’on glorifie le courage ukrainien, on piétine la sueur des paysans d’ici.
Au nom de la solidarité, on a livré nos paysans aux lois du dumping. Quel humanisme sélectif…
L’illusion a duré un été, deux moissons. On a applaudi la résilience ukrainienne, et les paysans français, polonais, roumains ou slovaques ont joué le jeu. Par réflexe humanitaire, mais surtout parce qu’on leur a vendu cette mesure comme une parenthèse, une petite entorse aux règles pour soutenir une nation martyre. Sauf que la parenthèse est devenue un chapitre. Et dans ce chapitre, c’est l’agriculture européenne qui trinque, seule et sans voix.
Quand une mesure prétendument exceptionnelle devient la nouvelle norme, il faut être bien naïf pour ne pas y voir une volonté politique. Les volumes d’importation n’ont pas doublé, ils ont explosé. Le blé ukrainien, qui devait juste traverser l’Europe pour atteindre l’Afrique, est resté sagement dans nos ports. Mieux : il s’est installé, accaparant nos marchés à coups de prix imbattables – normal, quand on n’impose ni normes environnementales, ni conditions sociales, ni charges.
C’est à croire que Bruxelles pense que la souveraineté alimentaire européenne, c’est bon pour les brochures, pas pour les marchés.
Et comme d’habitude, on a attendu que ça craque pour sortir du coma technocratique. Dès que les tracteurs sont sortis, les eurocrates ont enfin levé la tête de leurs tableurs. Miracle : la Commission parle de revoir l’accord. Mais sans vraiment en finir. On nous promet des quotas, mais suffisamment élevés pour ne froisser ni Zelensky ni l’industrie agroalimentaire hollandaise, qui raffole du maïs ukrainien pas cher.
Car oui, derrière cette déroute, il y a aussi des profiteurs bien européens. L’Espagne, par exemple, qui engraisse ses porcs avec du grain ukrainien low cost. Les Pays-Bas, qui transforment à tour de bras des produits d’origine douteuse. Ces pays qui se réclament du marché libre, mais dont les intérêts bien compris dictent les règles du jeu. Le blé polonais ou roumain ? Il peut moisir. Mais les industries animales, elles, doivent tourner. Business is business.
Le pire dans tout cela ? C’est que personne n’assume. Pas un mot sur l’échec d’un équilibre géopolitique devenu bulldozer économique. Pas une remise en cause sérieuse. On ajuste les curseurs, on maquille les chiffres, on agite la main tremblante des quotas comme un hochet. Pendant ce temps-là, les cours du blé dégringolent, les récoltes se gâtent, et les fermes ferment. Silence radio à Bruxelles, sauf pour rappeler combien l’agriculture européenne doit être verte, inclusive et compétitive.
On parle d’effort de guerre. Mais c’est surtout un sabordage agricole par des pacifistes de salon.
Reste une vérité nue : l’Union européenne a préféré jouer les mécènes à crédit, en refilant la facture à ceux qui ne peuvent pas dire non. Les paysans. Ceux qu’on accable de règlements absurdes, qu’on culpabilise au nom de la biodiversité et qu’on trahit quand l’agenda change. L’Ukraine a besoin d’aide ? Très bien. Mais qu’on ne se paye plus de mots. Cette guerre n’est pas la leur, et les contraindre à en financer les balles, c’est les condamner à mort lente.
La solidarité, c’est beau, surtout quand ce sont les autres qui la pratiquent pour vous. Mais l’Europe ferait bien de se rappeler qu’un continent sans paysans, c’est un continent qui importe sa nourriture, sa dépendance et sa perte.