Allemagne : la fin de l’innocence progressiste

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L’histoire bégaie. Toujours. Elle se drape dans les oripeaux de la modernité, se croit neuve, se veut progressiste, et pourtant, la voilà qui nous rejoue éternellement le même drame, les mêmes illusions et les mêmes effondrements. L’Allemagne, patrie du sérieux, de la rationalité, du consensus compassé, découvre avec stupeur que les contes de fées ne résistent pas à l’épreuve du réel.

L’histoire ne progresse pas, elle oscille entre illusions et réveils brutaux.

Ainsi donc, la CDU/CSU a osé ce que l’on croyait encore impensable : voter avec l’AfD au Bundestag pour durcir la politique migratoire. Un tabou est tombé, s’écrit-on dans les salons où l’on feint de ne pas voir que ce tabou était déjà en lambeaux sous le poids des couteaux, des agressions, et du ressentiment populaire qui monte inexorablement. Berlin s’indigne, la presse s’affole, la bien-pensance s’étouffe de stupeur : comment ? Des conservateurs qui font du conservatisme ? Voilà qui est inconvenant, inacceptable, inenvisageable. Et pourtant, c’est le retour du refoulé, la gifle du réel sur la joue moite de l’idéalisme béat.

On avait promis un avenir radieux, mais la fête a tourné au carnage.

Les chiffres sont là, cruels et implacables. 15 000 attaques à l’arme blanche en un an. Des passants poignardés, des enfants massacrés, un policier égorgé. Des événements qu’on s’efforce de classer dans la rubrique « faits divers », comme si l’accumulation ne dessinait pas un schéma, une tendance, une faille dans la grande narration progressiste où tout allait nécessairement vers le mieux. On avait promis un avenir radieux, un vivre-ensemble extatique, un multiculturalisme enchanté. Mais la fête a tourné au carnage, et soudain, on redécouvre ce que l’on croyait obsolète : les frontières, les identités, les tensions irréductibles.

Friedrich Merz incarne ce basculement. Il n’a pas la candeur angélique d’une Angela Merkel, ce mélange de dogmatisme et de naïveté qui lui permettait d’accueillir un million et demi de migrants d’un revers de main, avec ce sourire crispé qui disait : « Wir schaffen das » – Nous pouvons le faire. Merz, lui, a fait les comptes. Il sait ce que cela coûte, en sécurité, en cohésion sociale, en électeurs exaspérés. Il sait surtout que la CDU ne peut plus jouer le rôle du gentil gestionnaire du déclin, tandis que l’AfD engrange les voix de ceux qui n’en peuvent plus de voir leur pays transformé en laboratoire du chaos. Alors il tranche, il rompt, il assume. Nous ne pouvons pas le faire, dit-il, prenant le contrepied exact de Merkel. C’est une révolution copernicienne, un tournant sans retour.

Le problème de l’Allemagne, c’est qu’elle sort d’un demi-siècle d’auto-hypnose. Depuis 1945, elle s’est construite sur le rejet de son passé, sur une idéologie de la repentance et de l’abnégation. Le « plus jamais ça » s’est mué en une doctrine politique où toute affirmation identitaire est suspecte, où toute critique du progressisme est immédiatement rangée au rayon des infamies. Mais la réalité ne se laisse pas censurer éternellement. Elle revient toujours, par la petite porte ou par la grande, par le bulletin de vote ou par le poignard d’un déséquilibré afghan dans un parc bavarois.

Le réel ne se dissout pas dans les incantations progressistes. Il revient toujours, implacable.

Les partis traditionnels sont en déroute, pris entre leur déni et la pression populaire. SPD et CDU s’effondrent à chaque élection, pendant que les « extrêmes » montent inexorablement. Mais qu’est-ce qu’un extrême, sinon la simple réaction à un excès inverse ? Pendant des années, on a imposé à l’Allemagne une politique migratoire délirante sous prétexte que la morale l’exigeait. Désormais, la mécanique s’inverse. Les modérés s’endurcissent, les consensus volent en éclats, et l’AfD, ce croque-mitaine qu’on croyait pouvoir contenir à coups d’incantations démocratiques, se retrouve en position de force.

Le grand rêve progressiste s’effondre sous le poids du réel. Ce n’est pas une surprise. C’est une loi de la gravité politique.

Et voilà que Friedrich Merz est comparé à Donald Trump. L’épouvantail ultime, le totem des médias, la métaphore fourre-tout de tout ce qui fait trembler l’intelligentsia. Parce qu’il est riche ? Parce qu’il revient après avoir été écarté ? Parce qu’il ne s’embarrasse pas des pudeurs progressistes sur l’immigration ? Peut-être. Mais surtout parce qu’il incarne ce basculement inévitable, ce mouvement du pendule qui, après avoir oscillé trop longtemps d’un côté, repart brutalement dans l’autre direction.Les prophètes du progrès nous avaient promis que l’histoire était terminée, que la démocratie libérale avait triomphé, que le village global remplacerait les nations et que les peuples allaient se dissoudre dans une euphorie cosmopolite. Mais la fin de l’histoire n’a pas eu lieu. L’Allemagne s’en rend compte avec fracas. Le retour au réel est brutal, sanglant, impitoyable. On croyait la droite conservatrice domestiquée, on la redécouvre carnassière. On croyait l’extrême droite marginalisée, on la voit devenir incontournable. On croyait que la question migratoire était un débat clos, on réalise qu’il ne fait que commencer.

***Les journalistes d’EnAlerte.fr utilisent un nom d’emprunt et une image générée par IA pour préserver leur confidentialité et garantir leur liberté d’expression.***
Antoine Leroy
Antoine Leroy
Étudiant en philosophie à la Sorbonne, Antoine Leroy, 23 ans, est fasciné par les grands débats intellectuels, mais aussi par les petites incohérences du quotidien. Avec EnAlerte.fr, il mêle réflexion profonde et ironie mordante pour faire vaciller les certitudes et provoquer des questionnements nécessaires.

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