Dans une France qui s’enivre de ses contradictions, le voile est devenu le chiffon rouge qu’on agite sans jamais oser le déchirer. Cette fois encore, les querelles de chapelle au sommet de l’État se disputent le trophée de la pusillanimité. L’interdiction du port du voile dans les compétitions sportives ? Sujet explosif, certes, mais révélateur. Il dévoile – sans jeu de mot – l’impuissance d’un gouvernement à parler d’une seule voix sur les enjeux civilisationnels, alors même que ces derniers réclament clarté et fermeté. À défaut, on brandit des règlements fédéraux comme on brandirait une camisole juridique pour éviter le débat de fond.
D’un côté, les lucides – ou du moins ceux qui n’ont pas encore troqué la laïcité pour le confort de la lâcheté – Gérald Darmanin et Bruno Retailleau. Le premier a au moins le mérite de la cohérence : pas d’accommodement avec le communautarisme. Une évidence qu’il faut pourtant rappeler dans une époque où certains pensent que le voile est un simple bout de tissu, et non un étendard politique. Le second, Retailleau, met le doigt là où ça fait mal : l’entrisme des Frères musulmans dans les clubs de sport, ce cheval de Troie idéologique que l’on continue de regarder avec une complaisance criminelle. À leurs côtés, quelques esprits encore dotés d’un minimum d’instinct républicain plaident pour une interdiction claire, assumée, législative. Bref, pour l’État.
Élisabeth Borne,quant à elle, excelle dans la contorsion rhétorique : pas favorable à une loi, mais pas opposée à l’interdiction. Elle assure n’avoir « aucune naïveté » sur les questions d’entrisme islamiste. Dont acte. Mais à quoi bon voir le loup si l’on refuse de le chasser ? Son discours, prudent à l’excès, révèle moins une vigilance qu’une crainte : celle de froisser l’orthodoxie bien-pensante. Car interdire, c’est affirmer. Et affirmer, c’est prendre le risque d’être accusé. De quoi ? D’islamophobie, évidemment, cette tarte à la crème servie à chaque fois qu’un responsable ose défendre la laïcité autrement que sur PowerPoint.
Ce paradoxe illustre l’incapacité d’un système à concilier ses valeurs avec ses actions.
L’inaction face aux dérives idéologiques n’est plus une option, mais une complicité.
C’est donc Matignon qui tranche, rappelant que l’interdiction des signes religieux s’impose désormais dans les compétitions sportives. Un rappel qui tient plus du pansement institutionnel que de la chirurgie politique. Car si recadrage il y a, c’est bien que la cacophonie est devenue la norme. Quand un Premier ministre doit rappeler à ses ministres ce qu’est la ligne gouvernementale, c’est que ladite ligne ne repose sur rien d’autre que la peur du vide. La peur de décider. La peur de déplaire. L’autorité ne se décrète pas, elle se manifeste. Or ici, elle se dilue dans des nuances verbales et des consensus de façade.
Et que dire du sondage Europe 1/CNews/JDD révélant que 78 % des Français trouvent anormal qu’un match de football s’arrête pour permettre aux joueurs musulmans de rompre le jeûne pendant le Ramadan ? Voilà le fruit de décennies de renoncements. D’une laïcité transformée en variable d’ajustement. On ne parle plus d’intégration, mais d’adaptation. Le sport, naguère école de la République, devient le terrain d’expérimentation du vivre-ensemble à géométrie variable. Et pendant que les jeunes filles contraintes au voile regardent en silence, on aménage les horaires pour le jeûne. Voilà comment une religion devient norme, et la République exception.
À force de vouloir ménager les susceptibilités, on a anesthésié les principes. À force d’accepter les différences sans jamais exiger la réciproque, on a normalisé l’abandon.
La vérité, c’est que le sport est désormais le théâtre d’un affrontement entre deux visions du monde : celle d’une République laïque, exigeante, indivisible ; et celle d’un relativisme identitaire qui veut faire de chaque terrain de jeu un espace d’expression religieuse. Or il n’y a pas de neutralité possible entre ces deux logiques. Il y a un choix. Celui que le gouvernement feint de faire à chaque nouvelle crise, pour mieux l’éviter dans les faits.
La République ne se défend pas à moitié. Elle se défend, ou elle disparaît.
On interdit donc, mais sans vouloir de loi. On légifère par demi-mots. On assume à moitié. Ce n’est plus un gouvernement, c’est une pièce de Ionesco. Et au milieu de ce théâtre d’ombres, ce sont toujours les mêmes qui reculent : ceux qui n’ont pas de réseau associatif, de relais communautaire, ou d’avocat médiatique pour parler en leur nom. Les silencieux, les républicains, les laïques sans adjectif.
Le voile n’est pas une question vestimentaire, mais une question politique. Ceux qui refusent de l’admettre sont soit aveugles, soit complices. Et s’il faut encore une loi pour affirmer que sur un terrain de sport, la seule chose qui compte, c’est le maillot – et non le message religieux – alors cette loi s’impose avec la force du bon sens.
Mais pour cela, il faut plus que des rappels à l’ordre. Il faut un sursaut. Et le courage d’affronter non seulement les pressions communautaires, mais aussi les pesanteurs idéologiques d’un appareil d’État qui a fait de la neutralité un exercice de funambulisme permanent.