Agences publiques : le trou noir à 77 milliards »

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La France souffre d’un mal chronique que même les meilleures intentions semblent incapables de soigner : une addiction à la paperasse institutionnelle, aux strates administratives empilées comme les couches d’un mille-feuille indigeste. Ce n’est pas nouveau. Mais à force d’aveuglement volontaire, l’État s’est transformé en une machine pachydermique où chaque avancée de la rationalité est freinée par la résistance du confort bureaucratique. La prise de conscience, tardive, que nous avons trop d’instances publiques – trop de comités, de conseils, d’agences – ne devrait pas faire l’effet d’un scoop. Cela fait longtemps que les Français, eux, l’ont compris. Mais la machine continue de tourner. À vide.

Agnès Verdier-Molinier, directrice de la Fondation iFrap, le répète depuis des années. Invitée sur Europe 1 récemment, elle s’étonne presque que le politique commence à entrevoir ce que le contribuable subit depuis longtemps : « On commence enfin à prendre conscience que nous avons trop d’instances publiques empilées, que ça génère des dépenses de doublon inefficaces qui rajoutent de la complexité et de l’argent gaspillé. » Il était temps. Car pendant que les Français se serrent la ceinture, la technocratie, elle, s’enrobe.

Prenez les comités dits « Théodule » – ces instances consultatives dont le nom évoque davantage une mauvaise blague qu’un outil de gouvernance efficace. En 2007, on en recensait un peu moins de 800. Depuis, leur nombre a légèrement baissé, mais leur coût a, lui, bondi de 22 à près de 30 millions d’euros par an. Moins nombreux mais plus chers. Le paradoxe serait presque comique s’il n’était payé par la sueur de ceux qui, eux, n’ont pas les moyens d’en rire. Pourquoi une telle augmentation ? Parce que le système fonctionne en vase clos, sans contrôle externe, sans obligation de résultats ni d’efficacité. La France est devenue championne du monde des structures consultatives sans pouvoir, mais avec budget.

Il est temps que l’État redescende sur terre.

La récente suppression de quelques dizaines de ces comités ne saurait faire illusion. Elle ne résulte même pas d’un sursaut gouvernemental, mais de l’initiative isolée d’une députée, allant au-delà des cinq suppressions initialement prévues par le gouvernement. Une preuve de plus, s’il en fallait, que la réforme, chez nous, ne naît pas du sommet, mais de la base. Ou de quelques élus encore capables de lucidité.

Mais le mal est plus profond. Car au-delà des comités Théodule, il y a les agences de l’État. Et là, c’est le vertige. Plus de 1100 structures dont l’utilité réelle échappe à tout esprit cartésien. Ces opérateurs, établissements publics ou groupements d’intérêt public – dont la mission est parfois le parfait doublon d’une autre agence voisine – coûtent aujourd’hui 77 milliards d’euros par an, contre 50 milliards en 2012. Soit une hausse trois fois plus rapide que l’inflation. Qui dit mieux ? Le citoyen lambda, lui, doit justifier chaque centime de ses dépenses aux impôts, pendant que les agences de l’État prospèrent sans inventaire ni contre-pouvoir.

« Nous n’avons même pas les chiffres », déplore Verdier-Molinier. Voilà le nœud du problème. L’État ne sait pas exactement combien il dépense, ni pour quoi, ni à qui. Une opacité qui ne choque plus personne, tant elle est devenue la norme. Et pourtant, selon les chiffrages de la Fondation iFrap, au moins 7 milliards d’euros d’économies annuelles pourraient être réalisés en rationalisant ces opérateurs. Sept milliards, soit de quoi financer des hôpitaux, revaloriser les salaires des enseignants ou renforcer les effectifs de police là où l’insécurité fait rage. Mais non, on préfère engraisser des structures qui, dans certains cas, se contentent de produire des rapports… jamais lus.

La réforme de la dépense publique ne doit plus être un slogan mais une action chirurgicale contre l’inertie bureaucratique.

Ce que révèle cette situation, c’est l’incapacité chronique de l’État à se réformer lui-même. Chaque tentative est vécue comme une menace par ceux qui profitent de la rente bureaucratique. L’entre-soi technocratique est protégé par des armées de hauts fonctionnaires plus prompts à créer une nouvelle instance qu’à supprimer l’ancienne. Et lorsque, enfin, le politique annonce une réforme, elle se fait au rabot, par petites touches, pour ne froisser personne. Résultat : rien ne change vraiment.

À cette inertie coupable s’ajoute une perversité bien française : la réforme cosmétique. Le gouvernement annonce fièrement la réduction du nombre de comités, mais se garde bien de toucher au cœur du problème. On change les noms, on fusionne deux structures inutiles pour en créer une troisième, tout aussi stérile. Et pendant ce temps-là, le coût grimpe.

Chaque euro gaspillé dans un comité sans impact, c’est une trahison pour l’infirmière débordée, pour l’enseignant sous-payé, pour le policier épuisé.

Le plus grave, c’est que cette gabegie mine la légitimité de l’État auprès de ceux qui croient encore à sa mission de service public. Chaque euro gaspillé dans un comité sans impact, c’est une trahison pour l’infirmière débordée, pour l’enseignant sous-payé, pour le policier épuisé. Ce sont les laissés-pour-compte du réel, pendant que les agents du virtuel administratif se congratulent en colloques.

La réforme de la dépense publique, si elle veut être autre chose qu’un énième slogan managérial, doit s’attaquer au tabou de la réduction structurelle. Il faut un audit national indépendant, un état des lieux précis de toutes les instances et agences existantes, avec pour objectif la suppression de toutes celles qui ne démontrent ni efficacité ni légitimité. Il faut une obligation de résultats, pas de moyens. Et surtout, il faut avoir le courage politique d’assumer que l’intérêt général ne se mesure pas au nombre de comités consultatifs mais à la qualité des services rendus au public.

Les Français ne demandent pas la lune. Ils réclament que leur argent serve à quelque chose. Qu’il permette à leurs enfants d’être bien instruits, à leurs proches d’être soignés dignement, à leurs rues d’être sécurisées. Tout le reste n’est que luxe administratif. Il est temps que l’État redescende sur terre. Qu’il cesse de se regarder dans le miroir flatteur de ses propres rapports et prenne enfin la mesure de la réalité : celle d’un pays qui croule sous les structures inutiles et les milliards gaspillés.

Le dégraissage de la bureaucratie n’est pas une option idéologique, c’est une urgence démocratique.

***Les journalistes d’EnAlerte.fr utilisent un nom d’emprunt et une image générée par IA pour préserver leur confidentialité et garantir leur liberté d’expression.***
Nadia Amrani
Nadia Amrani
À 36 ans, Nadia Amrani occupe un poste de responsable RH dans une PME lilloise. Ses observations quotidiennes sur les dynamiques humaines et sociales l’ont amenée à rejoindre EnAlerte.fr. Avec une plume pragmatique et engagée, elle veut participer à un débat public constructif et éclairé.

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