Autrefois, la seule menace autour d’une école maternelle, c’était un enfant enrhumé ou un goûter sans allergène. Aujourd’hui, c’est plutôt : « Doit-on déplacer la salle des petits parce qu’un gang vend de la cocaïne devant la porte ? ». Le débat est posé calmement, dans les conseils municipaux, entre la poire du goûter et le fromage de la capitulation.
Les trafiquants sont là, à quelques mètres des bacs à sable, et ils ne distribuent pas des Smarties. L’école n’est plus qu’un figurant muet dans un western urbain où les cow-boys sont remplacés par des adolescents en survêt’ sponsorisés par le marché noir, et les shérifs municipaux jouent à cache-cache avec leur courage.
Quand les dealers font la sortie des classes, ce n’est pas une reconquête républicaine, c’est une franchise Narcos Kids.
On ne déloge plus les dealers, on déloge les enfants. C’est moins risqué, moins bruyant, et surtout, ça ne nuit pas aux statistiques. Il fut un temps où l’on déménageait une école pour cause d’amiante ou de termites. Désormais, le nuisible est bipède, ganté, capuché, et vend du bonheur synthétique à la criée. Et plutôt que de déranger l’écosystème mafieux, on préfère déplacer les petits. On n’est plus dans la lutte contre le crime, on est dans la gestion douce des nuisances. Une écologie du trafic, en quelque sorte.
Et c’est bien là le génie français : à défaut d’éradiquer les réseaux, on réaménage le mobilier urbain. On crée des itinéraires bis pour éviter les points de deal, comme s’il s’agissait de flaques d’eau. On redirige les enfants pour contourner la violence, comme s’il s’agissait d’un embouteillage. Le tout avec le calme rassurant d’un GPS qui dit : « Recalcul en cours, en raison de fusillade au prochain croisement. »
En France, les cartels ne reculent pas. Ce sont les écoles qui plient bagage, cartables sous le bras, drapeau blanc en main.
L’État, quant à lui, observe tout cela avec une sérénité clinique. Il parle de « moindre mal », comme un médecin expliquerait à son patient qu’on va amputer la jambe pour éviter un rhume. C’est une stratégie admirablement simple : ne rien faire, et le faire lentement. Le crime s’organise comme Amazon, pendant que les forces de l’ordre sont encore en grève contre leurs imprimantes.
Dans cette grande pièce de théâtre post-républicain, chacun joue son rôle : les parents votent pour fuir, les enfants apprennent à lire entre deux contrôles de casier, les élus appellent à la « prudence », et les trafiquants rigolent. Ils n’ont même plus besoin de menacer. Il suffit d’être là. D’exister. Et tout le monde s’incline, naturellement, comme devant un monarque toxico.
Ce qui est fascinant, c’est qu’on parle ici d’une école maternelle. Pas d’un terrain vague. Pas d’un squat. Une institution censée incarner l’avenir, la République en miniature, le creuset civique. Eh bien désormais, cette institution fait ses valises quand le voisinage devient trop… entrepreneurial.
En France, il ne manque pas de munitions. Juste de volonté. Le plus sûr moyen de perdre une guerre, c’est encore de ne jamais la déclarer.
Alors bien sûr, tout le monde s’accorde sur le constat : c’est « grave », « préoccupant », « inacceptable ». Une belle broderie de mots creux, recousus à la va-vite sur une République en lambeaux. Mais le plus pathétique, c’est qu’on en rit. Oui, on rit. Parce que la situation est devenue si grotesque, si absurde, qu’elle a dépassé le seuil de l’indignation. On est entré dans le théâtre de l’inconcevable : celui où l’on préfère déplacer l’école plutôt que le point de deal.